Le passage de la
frontière au milieu des montagnes n’est pas particulièrement stressant. Il est
spécial. Il ne fait pas chaud et en soit c’est un événement, l’altitude a eu
raison du thermomètre. Et puis
surtout il dure, il dure. Quatre heures pour un petit interrogatoire sur
l’objet de notre entrée dans le pays, l’hôtel où l’on va dormir, le temps que
l’on va passer et la frontière empruntée pour sortir (qui est de toute façon
notée sur le visa et inchangeable). Les sacs sont ensuite fouillés, mais pas
trop. Nous attendons ensuite avec d’autres personnes pendant une heure et demie
qu’un minibus nous descende vers la sortie de cet immense territoire qu’est la
frontière. Un taxi nous
emmène ensuite vers la capitale Ashgabat.
Capitale du
Turkmenistan, Ashgabat est une ville nouvelle car reconstruite en grande partie
après un tremblement de terre de 1948 qui a tué plus de 100000 personnes. Les
rues sont larges, assez désertes et de nombreux bâtiments colossaux ont poussé
sous la houlette du dictateur précécent (Niazov), taré. La ville est donc une
succession d’immeubles monstrueux, de monuments aussi gigantesques que moches
et de palais présidentiels, de ministères et autres bâtiments officiels en
marbres avec des dômes en or. Si l’argent apporté par les ventes de gaz et
pétrole turkmène coule à flot ceux qui en profitent sont peu nombreux. Dans les rues
et depuis la frontière, sont réapparues les femmes et ça fait du bien. Les
cheveux de Phanie ont repoussé, ils sont magnifiques, ses bras et son cou aussi ont refait
surface. Les femmes turkmènes sont pour bon nombre d’entre elles en robes
longues très colorées avec des cheveux longs. Elles sont souvent très élancées
et ont deux longues nattes qui tombent de chaque côté de la tête. L’hôtel prévu est plein, nous nous
rabattons sur un autre établissement compliqué à trouver car personne chez nous
ne lit le turkmène, il fait très chaud, les sacs sont lourds et les estomacs vides.
Pas de négociations possibles sur le prix de l’hôtel, hôtel d’état. Les prix
sont très élevés. Nous finissons par aller manger
après avoir échangé des dollars contre des manats avec la femme peu aimable qui
s’occupe du bar-épicerie de l’hôtel. Beaucoup de policiers ou militaires dans
les rues, on ne prend pas de photo pour ne pas avoir à regretter l’appareil qui
peut facilement être confisqué. La visite de la ville qui n’est pas si moche, fait
du bien à ceux qui ont une nostalgie de l’occident avec des supermarchés
achalandés, des rues parfois rappelant les notres. Pourtant, la transition
après l’Iran est impressionnante. Nous sommes vraiment dans une nouvelle région
du monde avec des gens au type souvent asiatique, des yeux plus ou moins
allongés, bruns ou bleus, des peaux blanches comme le lait mais aussi tannées
comme du cuir. Visite d’un marché à moitié couvert. Les fruits et légumes sont
présentés sur les étals en pyramides parfaites. A l’étage les vêtements dont
les robes longues. Tous les vendeurs sont en blanc et coiffés d’une mini-toque
de la même couleur.
Le petit
déjeuner du lendemain est terrible, servi par la femme de la veille toujours
aussi peu aimable. Le pain sent le moisi, le beurre est rance, le pain dur, les
saucisses peu ragoûtantes, le prix élevé.
Direction la gare routière pour en principe prendre un minibus comme
nous avons réussi à confirmer à l’hôtel, le chauffeur de taxi doit nous aider
pour nous faire bien comprendre. Sur place il y a beaucoup de monde et j’accompagne
le chauffeur au milieu des voitures stationnées sur la place. En un clin d’œil
nous sommes entourés par 5 puis 10 puis 20 gars. Ce n’est pas oppressant mais
assez impressionnant. Je comprends assez vite que le minibus n’est pas
forcément le transport que nous emprunterons. Finalement l’un des types accepte
pour le prix du minibus de nous emmener en voiture. Nous embarquons dans sa
Toyota Camry V6, les 5 à l’arrière car une passagère occupe le siège avant.
Air-conditionné, musique à fond (variétoche boite à rythme, synthétiseurs),
c’est parti pour un voyage de plusieurs heures, sans retour. La route file
plein nord vers Koneurgench la ville frontière avec l’Ouzbékistan, nous
espérons arriver à temps avant la fermeture du poste frontière dont nous
n’avons pas tout à fait les horaires…
Sur les bords de
la route, rien, à perte de vue. Du sable de désert, quelques touffes d’herbes
jaunies en mèches vaporeuses, des arbustes dont les feuilles sont mangées qui
par les chameaux, qui par de rares vaches qui par de plus rares chèvres. Les
dunes sont recouvertes de palissades très basses de paille, organisées en
quadrillages pour empêcher le sable de venir trop s’étaler sur le bitume
lorsqu’il est présent.
La voie est large, dépourvue de ligne blanche, truffée
de trous, tantôt recouverte de bitume, tantôt pierreuse ou terreuse. Des
barrages policiers sont nombreux, comme tombés du ciel en plein désert. Le
chauffeur est arrêté plusieurs fois, attachant sa ceinture de sécurité juste à
temps et repartant sans jamais la boucler. Des pneus éventrés jonchent le bord
ce cette route peu engageante comme s’ils voulaient eux aussi brouter les
herbes rares. Le voyage est une épopée. Les voitures et camions slaloment entre
les ornières, notre véhicule roule quasiment toujours sur le côté gauche de la
voie qui semble moins pire qu’ailleurs. Nous nous retrouvons quasi en
permanence avec un véhicule en face du notre, la voiture se rabattant sur le
droite le plus tard possible. Quand sa vitesse et comprise entre 130 et 165 km/heure
c’est juste pas vraiment rassurant, pour les parents. En effet, Louna et Maolann sont absorbés par leur lecture et
Jade dort, allongée sur quatre paires de cuisses. Plus loin, le chauffeur
emprunte à 110 une route de terre dure recouverte de pierres et pas tout à fait
plane. Les grands lisent, Jade joue. Le chauffeur fait de très rares pauses,
pour fumer, dehors dans la fournaise pour ne pas gêner les enfants. Après
quelques heures un tronçon de route semble meilleur, il en profite pour rouler
à 180 km/heure puis 200 km/heure pour redoubler sur un petit pont une autre
voiture qui l’avait déposé. Nous n’avons pas de ceinture de sécurité, pas de
sécurité, juste des fesses que nous serrons. Le chauffeur fait signe à l’autre
voiture en sortant le bras par la fenêtre que la course continue. Le deuxième
bolide nous dépasse, son chauffeur relance le nôtre et nous voilà de nouveau à
200 km/heure à coller l’autre voiture. Louna et Maolann bouquinent, jade
bricole et nous, adultes, nous crions de concert lorsque nous pilons car un
chien est au milieu de la route. Jade nous en veut de lui avoir fait peur. Fort
heureusement l’état catastrophique de la route nous préserve pendant la fin du
voyage de toute autre course folle. Moyennant quoi, après 7 heures et demie de
trajet, nous arrivons à temps à la frontière. Le chauffeur nous salue, me fait
une étreinte appuyée et nous laisse prendre un autre taxi pour les 20 km qui
nous séparent de l’Ouzbékistan. Koneurgench nous évoque tous le Cambodge sans y
ressembler véritablement, mais ses parfums remontent agréablement vers nous.