vendredi 12 juillet 2013

Turkmenistan, juste un frisson


Le passage de la frontière au milieu des montagnes n’est pas particulièrement stressant. Il est spécial. Il ne fait pas chaud et en soit c’est un événement, l’altitude a eu raison du  thermomètre. Et puis surtout il dure, il dure. Quatre heures pour un petit interrogatoire sur l’objet de notre entrée dans le pays, l’hôtel où l’on va dormir, le temps que l’on va passer et la frontière empruntée pour sortir (qui est de toute façon notée sur le visa et inchangeable). Les sacs sont ensuite fouillés, mais pas trop. Nous attendons ensuite avec d’autres personnes pendant une heure et demie qu’un minibus nous descende vers la sortie de cet immense territoire qu’est la frontière. Un taxi nous emmène ensuite vers la capitale Ashgabat.
Capitale du Turkmenistan, Ashgabat est une ville nouvelle car reconstruite en grande partie après un tremblement de terre de 1948 qui a tué plus de 100000 personnes. Les rues sont larges, assez désertes et de nombreux bâtiments colossaux ont poussé sous la houlette du dictateur précécent (Niazov), taré. La ville est donc une succession d’immeubles monstrueux, de monuments aussi gigantesques que moches et de palais présidentiels, de ministères et autres bâtiments officiels en marbres avec des dômes en or. Si l’argent apporté par les ventes de gaz et pétrole turkmène coule à flot ceux qui en profitent sont peu nombreux. Dans les rues et depuis la frontière, sont réapparues les femmes et ça fait du bien. Les cheveux de Phanie ont repoussé, ils sont magnifiques, ses bras et son cou aussi ont refait surface. Les femmes turkmènes sont pour bon nombre d’entre elles en robes longues très colorées avec des cheveux longs. Elles sont souvent très élancées et ont deux longues nattes qui tombent de chaque côté de la tête. L’hôtel prévu est plein, nous nous rabattons sur un autre établissement compliqué à trouver car personne chez nous ne lit le turkmène, il fait très chaud, les sacs sont lourds et les estomacs vides. Pas de négociations possibles sur le prix de l’hôtel, hôtel d’état. Les prix sont très élevés. Nous finissons par aller manger après avoir échangé des dollars contre des manats avec la femme peu aimable qui s’occupe du bar-épicerie de l’hôtel. Beaucoup de policiers ou militaires dans les rues, on ne prend pas de photo pour ne pas avoir à regretter l’appareil qui peut facilement être confisqué. La visite de la ville qui n’est pas si moche, fait du bien à ceux qui ont une nostalgie de l’occident avec des supermarchés achalandés, des rues parfois rappelant les notres. Pourtant, la transition après l’Iran est impressionnante. Nous sommes vraiment dans une nouvelle région du monde avec des gens au type souvent asiatique, des yeux plus ou moins allongés, bruns ou bleus, des peaux blanches comme le lait mais aussi tannées comme du cuir. Visite d’un marché à moitié couvert. Les fruits et légumes sont présentés sur les étals en pyramides parfaites. A l’étage les vêtements dont les robes longues. Tous les vendeurs sont en blanc et coiffés d’une mini-toque de la même couleur. 
Le petit déjeuner du lendemain est terrible, servi par la femme de la veille toujours aussi peu aimable. Le pain sent le moisi, le beurre est rance, le pain dur, les saucisses peu ragoûtantes, le prix élevé.
 
Direction la gare routière pour en principe prendre un minibus comme nous avons réussi à confirmer à l’hôtel, le chauffeur de taxi doit nous aider pour nous faire bien comprendre. Sur place il y a beaucoup de monde et j’accompagne le chauffeur au milieu des voitures stationnées sur la place. En un clin d’œil nous sommes entourés par 5 puis 10 puis 20 gars. Ce n’est pas oppressant mais assez impressionnant. Je comprends assez vite que le minibus n’est pas forcément le transport que nous emprunterons. Finalement l’un des types accepte pour le prix du minibus de nous emmener en voiture. Nous embarquons dans sa Toyota Camry V6, les 5 à l’arrière car une passagère occupe le siège avant. Air-conditionné, musique à fond (variétoche boite à rythme, synthétiseurs), c’est parti pour un voyage de plusieurs heures, sans retour. La route file plein nord vers Koneurgench la ville frontière avec l’Ouzbékistan, nous espérons arriver à temps avant la fermeture du poste frontière dont nous n’avons pas tout à fait les horaires…
Sur les bords de la route, rien, à perte de vue. Du sable de désert, quelques touffes d’herbes jaunies en mèches vaporeuses, des arbustes dont les feuilles sont mangées qui par les chameaux, qui par de rares vaches qui par de plus rares chèvres. Les dunes sont recouvertes de palissades très basses de paille, organisées en quadrillages pour empêcher le sable de venir trop s’étaler sur le bitume lorsqu’il est présent.

 La voie est large, dépourvue de ligne blanche, truffée de trous, tantôt recouverte de bitume, tantôt pierreuse ou terreuse. Des barrages policiers sont nombreux, comme tombés du ciel en plein désert. Le chauffeur est arrêté plusieurs fois, attachant sa ceinture de sécurité juste à temps et repartant sans jamais la boucler. Des pneus éventrés jonchent le bord ce cette route peu engageante comme s’ils voulaient eux aussi brouter les herbes rares. Le voyage est une épopée. Les voitures et camions slaloment entre les ornières, notre véhicule roule quasiment toujours sur le côté gauche de la voie qui semble moins pire qu’ailleurs. Nous nous retrouvons quasi en permanence avec un véhicule en face du notre, la voiture se rabattant sur le droite le plus tard possible. Quand sa vitesse et comprise entre 130 et 165 km/heure c’est juste pas vraiment rassurant, pour les parents.  En effet, Louna et Maolann sont absorbés par leur lecture et Jade dort, allongée sur quatre paires de cuisses. Plus loin, le chauffeur emprunte à 110 une route de terre dure recouverte de pierres et pas tout à fait plane. Les grands lisent, Jade joue. Le chauffeur fait de très rares pauses, pour fumer, dehors dans la fournaise pour ne pas gêner les enfants. Après quelques heures un tronçon de route semble meilleur, il en profite pour rouler à 180 km/heure puis 200 km/heure pour redoubler sur un petit pont une autre voiture qui l’avait déposé. Nous n’avons pas de ceinture de sécurité, pas de sécurité, juste des fesses que nous serrons. Le chauffeur fait signe à l’autre voiture en sortant le bras par la fenêtre que la course continue. Le deuxième bolide nous dépasse, son chauffeur relance le nôtre et nous voilà de nouveau à 200 km/heure à coller l’autre voiture. Louna et Maolann bouquinent, jade bricole et nous, adultes, nous crions de concert lorsque nous pilons car un chien est au milieu de la route. Jade nous en veut de lui avoir fait peur. Fort heureusement l’état catastrophique de la route nous préserve pendant la fin du voyage de toute autre course folle. Moyennant quoi, après 7 heures et demie de trajet, nous arrivons à temps à la frontière. Le chauffeur nous salue, me fait une étreinte appuyée et nous laisse prendre un autre taxi pour les 20 km qui nous séparent de l’Ouzbékistan. Koneurgench nous évoque tous le Cambodge sans y ressembler véritablement, mais ses parfums remontent agréablement vers nous.

Iran, fin


Mashhad se termine par une journée fériée. Les rues sont désertes. Nous laissons le temps couler et passons un bon moment dans un parc à côté de l’hôtel. Je discute avec deux femmes venues pour le shrine de Reza. L’une d’entre elle est journaliste, 36 ans. Elle m’indique en joignant les deux mains sous une joue que son mari s’est endormi pour toujours tué lors de la guerre contre l’Irak. Cela me fait penser à toutes ces photos d’hommes, exposées le long des routes avec en fond le drapeau iranien tués lors de cette guerre et régulièrement égrainées sur le côté du bitume comme martyrs utilisés pour nourrir un nationalisme exacerbé.
Louna s’achète une bague en turquoise, m’offre une petite turquoise souvenir. J’oublie le téléphone dans un taxi qui ne décrochera ensuite jamais à nos appels insistants. J’échange des euros dans la bourse de rue après une âpre négociation.
Nous quittons Mashhad le lendemain matin sans avoir pu rappeler nos hôtes d’un soir l’avant veille. Un taxi vient nous chercher à 6 heures et demie. La voiture se transforme rapidement en dortoir collectif et ma gorge est un peu sèche de vivre ces dernières heures iraniennes en regardant mes chéris pêle-mêle à l’arrière abandonnés dans une prolongation arrachée à la nuit trop courte. Nous passons à travers les montagnes en montant assez haut. Encore un paysage magique, les champs de blé se multiplient au bas des pentes.
Après 3 heures de route nous touchons le bout de l’Iran à Bajgiran, il faut se résoudre à sortir de la voiture et clore le chapitre perse. Notre vagabondage est rempli de périples dans le périple et les enchaîner sans pause laisse parfois un goût étrange. En franchissant une frontière on laisse certes un pays derrière mais on en trouve aussi un nouveau de l'autre côté. Alors, allons voir.